Retour à Playa Del Carmen

Mexico, le 30/10/2000






La mer des Caraibes















Boutique de la rue principale











Cote rocailleuse prés de Tulum

Il y a deux ans, Playa Del Carmen était un petit village sur la mer des caraïbes, à une heure de Cancùn, qui entamait une profonde mutation aujourd'hui quasiment parvenue à son terme.
Recommandée par les guides de voyages, c'était une halte accueillante pour le routard fatigué qui pouvait à loisir profiter de la plage, des récifs coralliens, et d'une atmosphère tranquille que venait tout juste troubler l'agitation de la rue principale. Désormais ce village n'est plus. La rue principale s'est transformée en galerie marchande au long de laquelle les plus prestigieuses boutiques rivalisent d'artifices pour attirer le client : Calvin Klein, Quicksilver, bijoutiers et orfèvres ont pris le pouvoir. Le touriste est là, et il apporte avec lui de merveilleux dollars qui auront tôt fait de partir en "souvenirs de vacances".
La rue s'est étendue en fait, et continue de s'étendre. On construit ici un nouveau restaurant, là un hôtel tout confort, et plus loin un centre commercial. Des agents immobiliers ont également fait leur apparition, signe qu'aujourd'hui l'étranger en visite n'est plus un voyageur loqueteux, affublé d'un énorme sac à dos, pieds nus, les cheveux long, sales, et les poches vides. Non ! c'est à du vrai touriste que nous avons à faire maintenant : short impeccable, Tee shirt ou polo blanc, basket avec chaussettes remontées à mi-mollet, casquette unie et "banane" de rigueur. Voilà enfin du sérieux ! de l'honnête ! de celui qui sait choisir entre les sombreros argentés et la couverture rayée, de celui qui commande sans compter du homard avec sa bière et qui se lève pour chanter et danser avec le groupe de musiciens typiques jouant pour la n-ième fois "la Cucaracha" . On voit les plus excentriques parader le soir, vêtus d'un pancho pour faire couleur locale, mimant et imitant la façon de parler des Mexicains ; pour se fondre dans la masse sans doute ! D'autres préfèrent afficher leurs origines, et coiffés de magnifiques Stetson, une bière à la mains, ils parlent bruyamment et ils rient et ils chantent les airs de leur pays : "I' can't get no satisfaction".

Un grand nombre de visiteurs est à la retraite et en profite pour voyager. Pour eux, des chambres accueillantes dotées de tout le confort moderne sont disponibles. Des hôtels climatisés, des piscines chauffées, des restaurants gastronomiques leur tendent les bras. Du côté de la langue, pas de problème non plus, le mexicain est rude à la tâche, il ouvre ses livres et apprend l'anglais, l'italien, certains même - les plus courageux ? - se sont mis à l'allemand. Tous les menus, les panneaux publicitaires, les affiches, les pancartes, tout est fondu dans un univers multi lingual où chacun peux se retrouver : "lobster amigo !", "do you wish to rent a car amigo ?", "ristorante italiano amigo ?" … Il s'est créé entre les Mexicains et les touristes de véritables liens d'amitié, tout le monde est "l'amigo" de tout le monde, et pour peu que "l'amigo amricano" ressorte du magasin avec des achats, c'est tout de suite la poignée de main, la tape sur l'épaule et le sourire heureux.

Dans cette scène ininterrompue, quelques acteurs se sont fait plus rares, plus discrets. On voit encore passer des routards à Playa Del Carmen , ils sont faciles à reconnaître quand ils arrivent : ce sont ceux qui n'ont pas de valise à roulettes mais qui ont conservés comme une fétiche leur sac à dos crasseux. Ils ouvrent de grands yeux mi émerveillés mi effrayés, ils regardent les vitrines, jettent un regard dans leur guide, se tournent à droite puis à gauche et vont finalement dormir sur la plage. En fait ils font tâche et ne jouent pas le jeu ! A quoi servent les palaces, les lumières, la ripaille, si en fin de compte tout cela doit finir allongé sur la plage à déguster des chips dans un sac de couchage ? Avec toute l'énergie dépensée ici ils pourraient au moins faire un effort et se payer un tour de parachute ascensionnel... ou au moins une ballade en tricycle aquatique !
Mais non, même pas ça.
On s'en fout, c'est pas grave, de toutes façons les rares hôtels qui leur étaient destinés ont multipliés leurs prix par plus de deux, alors tôt ou tard ils comprendront bien que cette ville ne veut plus d'eux ; d'ailleurs ils comprennent déjà, il y en a de moins en moins.

Les Mexicains aussi se font plus rares. Oh bien sûr tous les patrons de ces splendides boutiques sont du pays, mais les autres, ceux qui n'ont pas eu leur part du gâteau, où ont-ils bien pu passer ? Parce qu'enfin il n'est pas possible que toute la population de la ville ait trouvé refuge derrière la caisse enregistreuse d'un magazin ! Il doit bien rester un ou deux mexicains qui ne passent pas leur temps à héler le client dans le rue principale ! En faisant vraiment attention au spectacle de la rue, en regardant avec attention la pièce qui se joue ici jour après jour, on arrive à remarquer ces figurants discrets, presque invisibles, qui traversent la scène sans faire de bruit.
Ici c'est un vieil homme, débraillé, qui porte sur son dos un sac poubelle noir rempli de cannettes vides qu'il a pu ramasser ça et là, qu'il a ensuite écrasé d'un coup de talons pour en réduire l'encombrement, et qu'il revendra pour une misère en pesos.
Là c'est une mémé, grande comme une enfant de douze ans qui aurait trop vieilli. Sa tête dépasse de derrière un bouquet de roses qu'elle espère vendre à l'unité aux amoureux des terrasses. Elle porte une belle robe blanche qui pourrait passer pour une chemise de nuit, et son visage trop ridé esquisse un sourire timide quand elle s'approche pour proposer une rose aux convives bruyantes.
Il y a trois petits enfants de six ans à peine, qui sur la plage vont de serviette en parasol, traînant un présentoir à bracelets trop grand pour eux.
Il y a un homme sur son fauteuil roulant qui joue de la guitare toute la journée, et fait la manche.
Il y a deux bonnes sœurs perdues au milieux de cette vague de vacanciers qui n'ont qu'un bref regard pour les boîtes en métal qu'elles agitent et qui tintent de rares pièces.
Il y a sous les arbres, devant l'embarcadère pour Cozumel, une famille vendant des jus de fruits garantis 100% purs, et parmi eux, un simplet qui déambule le soir en souriant aux étoiles.
Les voilà donc les laissés pour compte du miracle de " Playa Del Carmen ", ceux qui n'ont pas de beaux habits blancs mais qui bien malgré eux viennent ajouter ce soupçon d'authentique dont les touristes, de retour dans leur pays, parleront à leur amis comme des curiosités typiques de ce pays faaaabuleux qu'est le Mexique : "Oh ! et puis il y avait ce vieux type qui nous a pris notre cannette de coca encore à moitié pleine, l'a écrasé du pied pour finalement la mettre dans un sac plastique … tu te souviens Raoul ?".

Voilà donc ce qu'est devenu Playa Del Carmen : un lieu aménagé pour le tourisme de masse, un lieu identique à n'importe quelle station balnéaire (exception faite peut-être des groupes de Mariachis grâce auxquels subsiste l'identité mexicaine !), un clone parmi la multitude de ces endroits qui vendent aux meilleurs prix du dépaysement climatisés aux cadres et aux retraités en mal d'aventure. Mais après tout n'ont-ils pas droit eux aussi à éprouver le frisson de la découverte d'un peuple millénaire ? De l'authentique, du vrai, c'est bien ce pourquoi ils ont payés, ce que leur a promis leur agence de voyage.

Il n'est pas question ici de porter un jugement hâtif sur cet état de fait, car enfin si tout se déballage peut contribuer au développement économique d'une région, ainsi qu'à l'amélioration du niveau de vie de ses habitants, alors il convient sans hésiter d'applaudir des deux mains et de rentrer dans le jeu. On peut néanmoins se demander si le prix à payer pour faire partie de la " top list " des destinations de vacances " à faire " n'est pas trop lourd pour ce qui fut un jour un village de pêcheurs. A l'heure ou le mot mondialisation est sur toutes les lèvres, on ne doit pas s'étonner de voir qu'il correspond à une réalité en marche dans ce coin du Yucatan. Lorsque son œuvre d'uniformisation implacable sera enfin achevée, le voyageur, quelque soit son "style" ne devra pas déplorer les effets d'un mal dont il est le vecteur. Alors les groupes organisés retourneront à Playa Del Carmen , et les autres, écœurés, iront porter un peu plus loin les graines de ce tourisme de masse qu'ils fuient en vain.





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